Angelina Guo: Projet de création au Parc de la Promenade Bellerive



亲爱的妈妈,
这一生一世
时间确实太少

可我相信某一天
我会真正的理解你的故事
即使我的中文水平还是婴孩

我永远不会放弃

让我们重新开始吧

亲爱的妈妈

慢慢来
我牵你的手
一起往海边走

*

Je compte mes rêves
l’odeur de l’eau
j’aurais dû naître sans chair ni pouls
entrer dans la vie en tant que feuille d’arbre, guêpe ou pigeon
j’aurais dû dessiner ma trajectoire, la négocier avec Dieu
mesurer l’espace qui me serait alloué
mes ancêtres, là-haut, les militaires, les concubines, l’empereur, me pleurent aussi
je les entends dans le crépitement des arbres
le long hululement d’un sang répandu depuis des millénaires
et gaspillé désormais le long d’une plaie brillante.

À quel moment ai-je su que la journée avait pris fin?


Jamais.
Je suis restée ici.
Mais je ne reviendrai pas.
Je suis restée ici.
Mais je ne reviendrai pas.


*

les autres sont des cris à ciel ouvert
je les vois, exsudant d’allégresse
dévalant à toute allure
en se sachant rois 

je me loge sous le préau
déchire les herbes folles
deux fois quinze minutes
écopées en langueur

la chasse des lieux
des chenilles suspendues
nous en faisons une fête
pour ensuite les brûler

*

prosterne-toi, disent-elles
et soudain le carrelage
les motifs sur les tuiles
ressemblent aux étoiles

devenir insolite, comme
une lampe à franges mauves
une chaleur d’asphalte 

aux petites méduses blanches
dans les coins de ma chambre
miroitant ma peau rêche
épluchée sans relâche

je compte mes rêves

et pourtant je suis là
le nez bas devant Nour
la faiblesse des carpes
étampée sur mon dos 

*

店里。dian li. Dienly.
notre temps ensemble, c’était
neuf billes de sucre à la fois

un deux trois quatre cinq six sept huit neuf 

一 二 三 四 五 六 七 八 九

même l’été bleu 
l’hiver sale la pluie basse
nous voyaient ainsi attablées
et entourées de sachets

à compter et compter
jusqu’à ce que vienne la nuit

*

le nom de notre rue
est une fuite en rappel
l’indice d’une époque
qui aurait pu être nôtre

an intelligible anger
reading my death 
a whole head’s whisper:
look homeward, angel

*

pointer sa pioche
vers le roc de l’exil
c’est suivre le mouvement
du langage éteint

l’éternité est futile
le grillage immonde

*

quand maman m’a demandé
de lui décrire ma soif
j’ai tourné les pouces
en regardant vers le ciel

je ne me souvenais plus
des mots en chinois
pour ma raison étanche
mon manteau de faiblesse

je lui ai dit à la place
je suis sourde et jaillissante
la masse visqueuse et verdâtre
qui perce le matelas

et je n’ai pas compris
ce qu’elle m’a dit en retour
et d’ailleurs s’estompe
le ton même de sa plainte

*

(1990, Pékin)
la gare désertée
se tient sur deux pattes
c’est le grand animal
qui annonce la mort

mais après le passage
d’ici vers l’ailleurs
mon frère m’oubliera
et les champs siffleront

tout aura un sens
et tout dansera
même l’air fin
me dira la suite

j’attends ce jour, Dieu
donne-moi ce jour
écris-le sur mon corps et fais-en une prière

*

These words still feel stiff and dissolute to me; every syllable drags itself on with a millstone around its leg. Words I learned under the chapel bells, near the waterfront where I spent my summer vacations dirtied and alone, and during which the only friend I made wore mutilation scars as thick as twigs over her long and shiny skin. I remember us in our little bedroom in Beijing, our last day in this sacred metropolis that saw us disintegrate, and how you said that this same language, the one I was forced to learn for the sake of our lives, had become too long, too refined, I should have kept it in a cage and not let it run free, I should’ve said it all in way less, way less.

I still feel that shame sometimes, the same shame you once felt, perhaps, when you first arrived in the Western world. The shame of not knowing the right words, of borrowing grammar from another language, of coming off as strangely serious and inept due to constantly thinking about how you’re seen, how foreign you come off as, with your too-slanted eyes and your too-yellow body. Though I ask myself the question: even if we did master their languages, even if we did get rid of our accent, would it be enough? Would it afford us a sense of belonging? 

*

d’autres pièces
une niche intemporelle 
un berceau de lierre
une poche de chair vide
étendue sur une corde

une gifle, un coup de poing dans le ventre 
et une femme-lézard qui me toise

je m’amuse, la nuit, à me tenir debout sur le rebord de la fenêtre
en me balançant sur une jambe

*

un amas de gouache
un rouge confiture
et les oiseaux migrateurs
qui ne reviennent pas

妈妈,妈妈
au-dessus de ma plainte
ta gorge qui raille
je ne l’entends plus

*

au dienly encore
j’ai connu ton attente

ton regard accroché
à cette vieille horloge brune

comme la neige qui traînait
sous les bottes des clients

pour qu’on passe la vadrouille
en suivant leur hâte

leurs rendez-vous leurs emplois
leurs amis leurs amours
et derrière notre comptoir
on les voyait s’envoler

*

pauvre regard
pauvre jour
toi tu crouleras dans des espaces nus

*

je rêve de petits chevaux blancs
et de hanches généreuses
de corps égarés, puis recousus
et traînés jusqu’en dehors 
et jetés après l’acte

les chevreuils et ma tête
accotés sur un tronc

nous dissipons l’hiver
et en faisons un refuge

*

routine du matin :
se retourner mille fois
sursauter du plancher
des envies fugaces
de faire des anges dans l’asphalte 

en après-midi :
condenser la misère
l’imprimer dans le béton
la fièvre efficace
de mon ventre évidé

le soir :
étaler les yeux 
sur la corde à linge
compter les maisons
le long de mes cuisses

*

l’étiolement graduel de ma vie
je le vois s’en venir
il enveloppe ma fatigue
s’en fait un damier

et pourtant ma mémoire
brille plus que jamais

*

il ne nous restera pas grand-chose de tout cela
l’étirement d’un cri 
l’arôme de nos plats
les manies paternelles

croit-on vraiment en cette unicité
en le hasard d’une époque ?

*

que restera-t-il à part cela

1989
liang pian
les échos d’amen

dans cette grande salle noire
et nos danses sur les toits
d’une ville étrangère

l’arrachement au Nord
et cet espace élagué
terre ferme qui s’écoule 
tout le long de ma nuque

*

au revoir
à ce corps qui ne m’appartient plus
aux rêves qu’on ne distingue plus des souvenirs
comme les sorties au cosmodôme
le plafond plein d’étoiles
les vaisseaux à pois

ces remparts de l’enfance
je les nomme dans le délire

quand je tente d’imiter
la voix de maman

*

les oiseaux piaillent
comme de petits coups de couteau

*

la rive est loin
le terrain vide

tandis que les enfants s’agglutinent
en dessous de ma semelle

je pointe vers l’intrus
et lui scande cela : 

prends une chaussure, celle en oiseau
trace ta vie, ta lignée droite

les merles s’abaisseront
car ces choses t’appartiennent

ton piétinement sourd
ta place ondoyante

*

je ne voudrais pas ruiner ton halètement
étaler nos vicissitudes au-dehors
les baver le long des Amériques

*

tu m’oublieras, tout comme tu oublieras Kunming
et toutes les villes qui sont venues avant moi
les chemins de lames insalubres
les paysages enneigés de six mois
la lointaine souveraineté
et mon corps immobile

crois-moi
comme tout cela se perdra
lorsque les souris feront la ronde
qu’on les entendra cligner des yeux

comme toute ta soif
ton odeur folle
s’épanchera comme une poudre
dans ces artères rabougries

la honte et le dénouement
comme
tout cela se perdra
sur tes cuisses violacées 
sur trente minutes de mort
sur la moquette verdâtre
du palais humain

*

ici les enfants sont rois 
si on ferme les portes
qu’on se met à nu
plus personne ne saura qui on est

on dansera comme des fous
on échappera des verres d’eau
ici sera le royaume des enfants et de ma mort
avec comme seule conscience du temps qui passe
le chatoiement des ombres sur la vitre teintée

do not forget about us 
the ineffable 
but you have been chosen
remember that 

*

my head is hurting
it’s the nausea of exploding
from a verb with a hundred endings
born from a language that everyone could speak

that would neither be yours nor mine
that would be weak and dawdling
like a newborn calf 

we could go back to pointing at twigs
and squeezing frogs in our hands
we could go back to Da Ye’s pond
and bring petals on the plane

while he’d laugh and he’d laugh
and he wouldn’t be scared
of the poor foreign children
who don’t remember their land

and we wouldn’t stop smiling
past the age of five
the way we did then
when we learned about hunger

can you see this language?
can you picture wholeness?

can we cry and scratch and run amok in the fields
dig holes in dirt roads and do away with life ?

is there a dimension
in which the pond is the world
where there are no planes to catch
and we scream the same names ?

where the walls don’t close in
the way they did then
where the language you know
is the one that I love?

*

let me go rest on the backseat 
(and she hops on over and lies down as we’re gliding on highway 40)
I see death in her tired eyes

the same gaze that once looked down and said
why’d you do this, Jia Jia? why’d you have to go this far?

(but all the rest is confusing and I forget about the wee hours between the fawns and the drugged-up calls to various family members)

*

je cherchais une emprise
un passé contenu entre des rails de fer 

j’ai haï ta joie, tes exclamations
et pourtant je me retrouve
à retourner des feuilles mortes

*

sur fond de tressaillement
la voilà la voile noire

nos planchers qui tombent toujours
vers des hivers en croix
oui les voilà
les bêtes méfiantes
sous ton tendre épiderme

*

peut-on dire que tout se perd avant l’aube ?

*

j’ai vu mardi la bête lumineuse
elle avait la forme d’une fillette qui attendait la rosée
et qui ruisselait d’huile

elle attendait près d’un grand pilier
avait une teinte blanche qui frayait la dureté

j’ai enfilé ma relâche
et j’y ai vu comme en rêve
le train translucide
qui perçait nos échines

*

I think I wanted to say sorry 
about all the times I forgot to speak

believe me I’d wanted to catch that moving train
though it sped through your lungs
though I could hear your cries

those restless pangs in the landscape of God

will you forgive me for what I stripped away
the skin that lay dead and sickened underneath
the women whose bodies fared longer than mine
and didn’t come undone with the passing years

*

nous avons tracé
le mot douceur à la craie

tu m’as dit :
sois clémente
balbutie tes misères

ton agonie était courte
chaude et bruyante

Pékin était droite
comme une bouteille de verre

c’était un grand précipice
et tu avançais en rampant
ta fierté fragile
comme une pieuvre intacte

*

la marée, elle aussi
dans toute sa désinvolture

j’ai voulu qu’elle me prenne la main
qu’elle adopte ma révolte
qu’elle parle ma langue
qu’elle ne s’endorme jamais
et qu’elle se couche comme moi
dans un banc de neige
grelottante, sanglante et sereine

*

vers le monde immatériel
tout y est

la chasse perpétuelle des bourdons
la fraîcheur du melon miel

le dienly
le sommeil

l’adolescence qui dure mille ans